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Chaillot Augmenté x Rencontres TMNlab

Publié le 16.02.2025

À l'invitation d'Anne Le Gall de TMNlab, j'ai pu participer au processus de conceptualisation de deux journées de réflexion, à travers des interviews, des table-rondes et des démos sur l'art vivant et les environnements numériques, dans le cadre du projet Chaillot Augmenté.

Le jeudi 13 février, j'ai pu être interviewée par la journaliste Chrystèle Bazin sur le thème Réunir du public en environnement immersif, et en particulier sur les moments clés de l'onboarding et de l'offboarding.

Le mot "boarding" vient de l'anglais et signifie embarquer, entrer, monter...un verbe très familier dans l'expérience de prendre un avion ou un bateau. Les suffixes ON- et OFF- nous renvoient à activer et désactiver, nous faisant ainsi penser à ce qui se passe avant puis après le moment où l'on embarque. Cette terminologie est actuellement utilisée dans le contexte des expériences de réalité virtuelle pour définir l'entrée et la sortie d'une dimension virtuelle reproduite au moyen d'appareils numériques et qui transcende celle que nous percevons comme réelle. Il est donc intéressant de constater comment le monde numérique s'approprie des termes qui le rapprochent de l'expérience du voyage, du départ à travers un médium.

D'après mon expérience, je souligne l'évidence de la création d'un cadre de transmision, et aussi d'une atmosphère permettant de passer d'une dimension à l'autre, à la fois dans la sphère du spectacle vivant et dans la sphère du numérique et du virtuel. La parabole de l'expérience d'immersion réveille le participant, qu'il soit acteur ou public, sous un angle sensoriel, moteur et cognitif. Il existe une progression jusqu'au point le plus profond, et elle peut être graduelle ou abrupte. Cette transition d'entrée est le moment pour présenter la nouvelle dimension, pour définir ses règles et ses frontières, pour transmetre la confiance de rester dans la nouvelle dimension avec la securité de pouvoir la quitter.

Plus tard dans la journée, j'ai pu animer la table ronde Artistes, publics, corps augmentés ou contraints ? avec trois artistes actifs dans la création par le corps en danse, théâtre et circ, avec l'application des technologies numériques : Corinne Linder, Éric Minh Cuong Castaing et Tammara Leites.

Corinne Linder est directrice de création pour des expériences immersives entre cirque, théâtre immersif et art numérique, fondatrice de la Compagnie Fheel Concept, basée en Toulouse. En 2016, suite à un accident, une chute de six mètres, elle repense sa carrière et décide de poursuivre ses intérêts artistiques hors scène pour créer des concepts qui fusionnent le langage du cirque avec l'art numérique. Avec Fheel Concepts, elle souhaite faire collaborer différentes formes d'art, tout en gardant les principes fondamentaux du cirque contemporain. Elle est autrice des crétions “HOLD ON” (2018) et “THE ORDINARY CIRCUS GIRL” (2019), où elle explore la façon dont la VR et la MR permetent d’augmenter le corps et de devenir soi-même athlète ou artiste virtuellement. Elle trveille sur une nouvelle production avec des capteurs de frequence cardiaque, "VIBH20".

Éric Minh Cuong Castaing est chorégraphe et artiste visuel, fondateur de la Compagnie Shonen, basée à Marseille, compagnie résidente à Montpellier Danse. Il mêle les technologies à ses travaux chorégraphiques dans une perspective critique en tant que «nouvelles structures de perception» (selon les mots de Stéphane Vial, dans "L’être et l’écran", 2013). Il propose des dispositifs, scéniques ou hors de la scène, renouvelant la relation des corps entre eux et avec leur environnement, le mouvement des humains et des non humains, les rapports d’interdépendance ou de co-présence des corps. Entre ses créations il y a la pièce “Phoenix” (2018), une mise en place d’un Live streaming vidéo entre des danseurs sur scène et des danseurs palestiniens à Gaza, la pièce “_p/\rc__” (2022) où il travaille avec des enfants en situation d’handicap, et la pièce “HIKU” (2023) avec Anne Sophie Turion, où il travaille avec des personnes isolées, ou hikikomoris, et des robots en télépresence. Avec ses creation, il montre son interesse à la spécificité et l’atypisme des corps, des corps "déterritorialisées”.

Tammara Leites est artiste, développeuse et designer d’interaction, basée à Genève et à Rome. Passionnée par la technologie et la relation avec la société, elle reflète ce que signifie “être un humain connecté au quotidien”. Actuellement, elle dirige des recherches en interaction homme-machine à l’agence Transmii. Son projet Metastories est une maison d'édition autonome entièrement gérée par des robots d'intelligence artificielle, promouvant des écrivains AI qui créent de la littérature inspirée par des données générées par l'homme. Elle entre dans la création de la piece de théâtre "d.Simon" (2021) avec le performer Simon Senn, et après dans la piece de danse "Human in the loop" (2023) avec la chorègraphe Nicole Seiler et basé sur "A Cyborg Manifesto" de Donna Haraway. Là, elle utilise l’intelligence artificielle générative pour explorer de nouvelles formes d’écritures et d’interaction au plateau.

Les corps des artistes e des publics plongent dans des environnements numériques dans le cadre de l'art vivant. Comment ces corps sont-ils projetés, explorés, stimulés ? Quelles nouvelles formes de perception peuvent-ils ressentir ? Quelles nouvelles relations peuvent se créer entre eux ? La combinaison d’environnement numérique et spectacle vivant nous présente des corps qu'on peut définir augmentés, ou des contraints ? L’expérience ancestral du spectacle vivant permet une rencontre collectif, une rencontre des corps. Quand on parle d’art vivant, on parle donc du corps collectif, de relation. Aujourd’hui, les technologies numériques peuvent affecter cette rencontre avec un engagement et une augmentation du collectif, ou au contraire, avec des implications plutôt individualisantes. La relation qui se produit entre les corps des artistes et des spectateurs à travers les technologies numériques immersives provoque dans certains cas des rapprochements, dans d'autres cas des distances. Elle stimule le corps, qui ressent un nouveau sens d’incarnation ou aussi de désincarnation à traves d’une experièncie virtuelle. Elle confronte l'humain avec la technologie, avec la machine, avec le robot et l'intelligence artificielle générative. Elle traite de questions qui peuvent transcender des frontières circonstancielles, géographiques, culturelles, de genre, etc. Par le númerique on développe des outils permettant d'aborder des questions sensibles, permettant peut-être aussi de rapprocher des corps des personnes marginalisées ou souffrant de problèmes de santé, d’enfermement, de problèmes politiques.

L'intérêt d'approfondir cette idée de "corps augmenté", qui a fet aussi objet d’une expo au Centre Pompidou en 2022 par Art3mis, amène à revoir d'autres adjectifs, comme le corps "médiatisé" (Antonio Pizzo, 2018), "mutant" (Ester Fuoco, 2018), les notions de "corporéité partagée" et "agentivité distribuée" (Samira Ibnelkaïd, 2018), ou encore toutes les variantes du terme “cyborg”. À travers ces altérations, les corps concernés des artistes et des publics se mettent en relation, ils activent des espaces intermédiaires. Les créations font dialoguer la performance live, et donc les corps vivants, avec la création numérique, et donc les différentes dimensions virtuelles qui peuvent en découler.

https://theatre-chaillot.fr/fr/programmation/2024-2025/art-vivant-et-environnements-numeriques-chaillot-augmente-x-rencontres

https://www.tmnlab.com/events/chaillot-augmente-x-rencontres-tmnlab-art-vivant-et-environnements-numeriques-explorer-et-accompagner